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présidence d’un très digne représentant de la grosse bourgeoisie, M. Carnot, montrait un grand contentement de soi. Elle se félicitait d’avoir rallié toutes les forces de conservation sociale. Elle s’enorgueillissait de voir venir à elle les nobles et les prêtres. À l’exemple des vieilles monarchies, elle tendait à la Religion une main auguste et tutélaire.

Il y eut aux Cultes, en 1894, un ministre disciple de Gambetta, mais tout autre que Jules Ferry, nullement impérialiste, un homme doux, simple, sans aucune ambition, qui faisait volontiers de la philosophie allemande en buvant de la bière. Il était très intelligent ; une épaisse bonhomie enveloppait les pointes de son esprit moqueur. Il avait plus de lecture que n’en ont d’ordinaire les hommes politiques. Il connaissait les livres de Lamennais et les discours de Montalembert et s’intéressait aux affaires ecclésiastiques. Ministre, il se plaisait à la conversation des évêques, et, comme il avait l’âme bonne et tendre, il se mit à les aimer. Il les crut, comme lui, fins et modérés ; il se crut théologien comme eux. Enfin, étant vieux, fatigué, gras, il ne pensa plus qu’à vivre avec Rome dans une tranquille paix.

Ainsi Spuller soufflait dans les bureaux des Cultes un esprit qu’il appelait l’esprit nouveau et qui était plutôt l’éternel esprit de quiétude et de satisfaction des ministres qu’on flatte qui se flattent.

Durant cette paix bénie, dans ce calme religieux, l’Église romaine préparait contre la République un assaut formidable.