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ment du royaume. Mais qu’était le Pape d’alors auprès du Pape d’aujourd’hui ? « Vous êtes non pas le seigneur des évêques, mais l’un d’eux », disait saint Bernard au Pape. Et Bossuet, citant cette parole, ajoutait : « Voilà ce qu’ont toujours dit ceux qui ont été parmi nous les plus pieux. »

Et, pour affronter l’Église du dehors, les rois de France avaient leur Église, la plus riche et la plus populeuse de la chrétienté. À la veille de la Révolution, le clergé, premier ordre de l’État, formait une armée de cent mille hommes et possédait trois milliards de biens fonds, cent millions de dîmes. C’était une force invincible aux mains du roi. Il n’en usait pas toujours de la même manière ; tantôt il se servait de son Église pour combattre le Pape, tantôt il s’entendait avec le Pape pour la réduire, ou bien encore il la laissait, pervertie par ses chefs, se donner elle-même au Pape. C’est ainsi que le vieux Louis XIV, après avoir opposé au Saint-Siège les libertés gallicanes, devint tristement ultramontain. Mais, au besoin, les parlements défendaient le pouvoir du roi contre le roi lui-même. Et l’État retrouvait toujours sa propre Église quand il voulait résister aux usurpations du prince romain. Vous, ministres de notre démocratie, pour vous défendre, que vous reste-t-il aujourd’hui ? L’Église des Gaules a passé à l’étranger. Vous n’avez plus chez vous qu’une milice ultramontaine, des prêtres, des moines, soldats du Pape, qui campent dans la République démantelée.