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a une grande puissance en France, depuis qu’on n’y sait plus ce que c’est qu’un Pape. Le Concordat est un danger pour l’État, depuis que l’État ne sait plus ce que c’est que le Concordat.

« Traiter avec le chef étranger d’une Église, à laquelle appartiennent des citoyens français, sur le régime du culte, s’engager vis-à-vis de cet étranger à des obligations pécuniaires ou autres, c’est aliéner une part de la souveraineté de l’État et admettre une ingérence étrangère dans nos affaires intérieures. »[1]

Voilà une première raison de dénoncer le Concordat. Il y en a d’autres.

J’étais fort jeune lors d’un recensement qui fut fait sous le gouvernement de l’ordre moral, et dans lequel l’État, avec une curiosité qu’il n’eut jamais plus depuis lors, s’enquérait non seulement de l’état civil des habitants, mais aussi de leur religion. Un commissaire vint me trouver dans mon grenier. Il me fit les questions prescrites par le ministre. Je lui répondais et il marquait les réponses sur une grande feuille de papier disposée pour les recevoir. Quand il me demanda à quelle religion j’appartenais, je lui dis que je n’appartenais à aucune religion. C’était un homme timide et doux. Il sourit péniblement. « Cela ne fait rien, murmura-t-il. Je vous serais reconnaissant d’en choisir une pour la régularité de mes écritures. » Je lui déclarai par obligeance que j’étais

  1. F. de Pressensé. Proposition de loi sur la séparation, 7 avril 1903. Exposé des motifs, p. 8.