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choses ne sont pas si simples qu’elles paraissent, parce que les hommes ne se conduisent pas seulement par la raison, mais aussi par l’habitude et les préjugés, et parce que l’esprit conservateur est très fort dans les sociétés. Mais pour tout homme réfléchi l’accord devenait de plus en plus difficile et précaire.

Les modérés, qui ne sont pas toujours aussi sages qu’ils croient, estimaient que la bonne intelligence régnerait entre l’Église et l’État à la condition que celui-ci restât dans le temporel, l’autre dans le spirituel et que les deux puissances ne sortissent point de leurs limites respectives. Les limites du spirituel et du temporel ! L’ancien régime ne les a pas connues. Bonaparte non plus, ni personne. C’est qu’il n’y en a pas. Le spirituel n’est connaissable que lorsqu’il se manifeste temporellement. Pour ne pas rester dans le vague, il faut parler des limites respectives du droit civil et du droit canon. Mais si un ministre de la République s’exprimait avec cette exactitude, on comprendrait tout de suite qu’il reconnaît des lois du dehors. C’est en effet à quoi le Concordat l’oblige, et comme il n’a pas, dans ses conseils, comme Louis IX, Charles VII, Philippe le Bel, Louis XIV et Charles X, des docteurs en l’un et l’autre droit, des théologiens très savants et des canonistes très experts, il est soumis à une législation étrangère qu’il ne connaît même pas. Que des ministres laïques et libres penseurs aient à discuter avec la curie des points de doctrine théologique et de discipline ecclésiastique, n’est-ce point absurde ? Et pourtant