Page:Anatole France - L'Artiste, avril 1870.djvu/2

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ses bras minces et blancs s’allongeaient mollement,
Nus, et laissaient tomber le fragile corsage,
Si bien que, sur le sein, à chaque battement,
L’ombre qui rend songeur se creusait davantage
Dans la blancheur de sa chair de camélia.
Mais soulevant ses bras, lianes odorantes,
Lentement sur mon col, douce, elle les lia,
Et soupira : Toujours ! de ses lèvres mourantes.
Sur sa tête d’enfant penchée au poids des fleurs
Le dossier droit et haut montait lourd de ténèbres,
Et sur sa nuque folle aux neigeuses fraîcheurs
Les Griffons lampassés prenaient des airs funèbres,
Car ils remémoraient, en de calmes ennuis,
La longue obsession de leurs regards de chêne :
Les bras évanouis des anciennes nuits
Qui tous voulaient jeter une éternelle chaîne,
Insensés ! sur le cou docile de l’aimé,
Ne sachant pas qu’au fond des demeures affreuses,
Tout seuls, pliés en croix sur le sein accalmé,
Ils s’en iraient où vont les bras des amoureuses.
Car les Griffons debout au chevet féodal,
Chimériques témoins de mes belles chimères,
S’étaient enfin lassés d’entendre, après le bal,
Les serments éternels des bouches éphémères.

—————
LE MAUVAIS OUVRIER

Maître Laurent Coster, cœur plein de poésie,
Quitte les compagnons qui du matin au soir,
Vignerons de l’esprit, font gémir le pressoir ;
Et Coster va rêvant selon sa fantaisie.

Car il aime d’amour le démon Aspasie.
Sur son banc, à l’église, il va parfois s’asseoir,
Et voit flotter dans la vapeur de l’encensoir
La dame de l’enfer que son âme a choisie ;