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lets blancs lui semblaient miraculeux. M. Fellaire était un dieu pour sa fille ; mais, à la manière des dieux, il se montrait rarement. Absent tout le jour, il rentrait tard. Il est vrai qu’après certains mécomptes éprouvés au-dehors, il avait des poussées d’assiduité domestique. Il promenait sa Lili au jardin des Plantes, la menait en voiture, la conduisait dans les cafés, où on lui servait de l’eau sucrée et même des sirops. De plus elle trempait le bout de sa langue dans le verre de son papa et faisait une grimace au goût amer de la boisson verte. C’était délicieux, mais c’était rare. Et le dieu s’évanouissait. Madame Fellaire n’en devenait ni moins maussade, ni moins irritable, certes. Hélène, près d’elle, dans sa petite chaise, songeait à son papa avec de grands élancements d’amour, et le fantôme du merveilleux gilet blanc apparaissait à ses yeux éblouis ; mais elle était paresseuse et se plaisait à ne rien faire. C’était d’ailleurs ce qui lui réussissait le mieux. Madame Fellaire ne prenait pas garde aux flâneries silencieuses de sa fille, et il suffisait, au contraire, d’une traînée de rire enfantin pour la faire éclater en reproches.