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arts. Il regrettait les mœurs élégantes et cruelles d’une noblesse militaire.

— Quelle époque mesquine que la nôtre ! ajouta-t-il. En privant la politique de ses deux attributs nécessaires, le poignard et le poison, vous l’avez rendue innocente, niaise, bête, bavarde et bourgeoise. Faute d’un Borgia, la société se meurt. Vous n’aurez ni statues de style, ni palais de marbre, ni courtisanes éloquentes et magnanimes, ni sonnets ciselés, ni concerts dans des jardins, ni coupes d’or, ni crimes exquis, ni périls, ni aventures. Vous serez heureux platement, bêtement, à en crever. Ainsi soit-il !

Depuis quelques instants, monsieur Godet-Laterrasse faisait des petits mouvements saccadés, comme un homme qui se contient mal.

— À merveille ! s’écria-t-il, à merveille ! Vous avez beaucoup d’esprit, monsieur Labanne. Mais, sachez-le : il y a des railleries qui sont des blasphèmes.

Il prit son chapeau, serra la main à son élève et entraîna dans l’antichambre monsieur Alidor, à qui il avait quelques mots à dire.

Labanne entendit tinter de l’argent et monsieur Alidor reparut.