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écrit son roman magnifique et passionné et n’avait créé sa


« Julie, amante faible et tombée avec gloire, »


que pour faire faire une sottise à mon ami Branchut, le moraliste.

Monsieur Alidor Sainte-Lucie contint un bâillement. Son fils, les deux poings dans les joues, écoutait comme au théâtre. Monsieur Godet-Laterrasse, l’œil ardent et la poitrine bombée, préparait une réplique foudroyante. Mais Labanne se leva, s’approcha du guéridon, y prit un numéro de journal et, tandis qu’il en déchirait un morceau pour rallumer sa pipe, il suivait de l’œil, avec son instinct de grand liseur, les lignes imprimées.

— Dites donc, Sainte-Lucie, demanda-t-il, est-ce que vous croyez à la démocratie, vous ?

À ces mots, monsieur Godet-Laterrasse fit, en se redressant, le bruit sec d’un pistolet qu’on arme. Mais l’ancien ministre ne répondit que par un sourire énigmatique. Labanne fit sa profession de foi. Il aimait les aristocraties. Il les voulait fortes, magnifiques et violentes. Elles seules, disait-il, avaient fait fleurir les