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ou, s’il pleut, sous les portes cochères. Il vient, quand il y pense, coucher dans mon atelier. Il écrivit même, une nuit, sur la muraille, un commentaire très subtil et très savant du Phédon. Tel est Branchut. L’an passé, je lui prêtai un habit et je le conduisis chez une princesse russe dont j’avais dû faire le buste. Mais elle voulait ce buste en marbre et je ne le voyais qu’en bronze. On ne peut réaliser que ce qu’on voit et le buste ne fut pas fait. La princesse cherchait un professeur de littérature pour sa fille Fédora, qui était très belle. Je proposai Branchut, qui fut agréé. Sur ma recommandation et sur sa mauvaise mine, on lui paya un mois d’avance. Il s’acheta deux chemises, loua une chambre en garni et connut le cervelas. À la sixième leçon, tandis qu’il expliquait le mécanisme de l’épopée homérique, il pinça furieusement à la taille mademoiselle Fédora, qui s’enfuit en poussant des cris aigus. Le moraliste attendit, prêt à réparer sa faute. Il eût épousé sa noble élève, s’il eût fallu. Mais on le jeta à la porte. Je le trouvai le soir dans mon atelier. « Hélas ! s’écria-t-il en pleurant, c’est Saint-Preux qui m’a perdu. Ô Julie ! Ô Jean-Jacques ! » — Ainsi donc, Rousseau n’avait