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Monsieur Alidor Sainte-Lucie était alors un très beau mulâtre, colossal et souple. Portant bien sa large face cuivrée, il avait, malgré son nez épaté, une grande mine, surtout depuis que le sommet de son front, dégarni de cheveux, brillait comme un bronze clair. Sans daigner rien dissimuler de sa robuste vieillesse, il portait, taillée de près aux ciseaux, sa barbe grisonnante. Soigneux de sa personne, il aimait les gilets blancs et les escarpins vernis, et s’imprégnait de parfums à la fois capiteux et fades.

C’est ainsi parfumé, et sa puissante encolure bien prise dans une jaquette de coupe anglaise, qu’il se promenait de long en large dans sa chambre d’hôtel, en attendant le précepteur, tandis que son fils crayonnait des bonshommes sur une couverture de livre et que le garçon de service dressait près du feu une table de trois couverts.

Les meubles étaient encombrés par les maquettes, les esquisses, les ébauches, les photographies, les plans, les épures, les lavis et les devis du monument commémoratif des victimes de la tyrannie. Il y avait sur la console une petite pyramide de plâtre peint, couverte de palmes d’or, et sur le se-