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jusqu’à la cravate, je la tirai ; rien ne bougea dans le cabinet ; je la tirai encore ; elle me resta dans la main et j’allai la cacher dans un des grands pots bleus du jardin.

— Ce n’était pas une plaisanterie bien spirituelle, mon Lucien.

— Non… Je la cachai dans un des grands pots bleus et j’eus soin même de la recouvrir de feuilles et de mousse. Monsieur Malorey travailla longtemps encore dans le cabinet. Je voyais son dos immobile et ses longs cheveux blancs répandus sur le collet de sa redingote. Puis la bonne m’appela pour le déjeuner. En entrant dans la salle à manger, le spectacle le plus inattendu frappa mes regards. Je vis, aux côtés de mon père et de ma mère, monsieur Malorey, grave, tranquille et n’ayant point sa cravate. Il gardait sa noblesse coutumière. Il était presque auguste. Mais il n’avait pas sa cravate. Et c’est cela qui me remplissait de surprise. Je savais qu’il ne pouvait pas