Page:Anatole France - Balthasar.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que, bien souvent, en passant, il en cueillait un brin et le respirait longtemps. Cette plante ne demande qu’à croître. Une branche coupée en fait renaître quatre. Si bien que, le diable aidant, le réséda du curé en vint à couvrir un vaste carré du jardin. Il débordait sur l’allée et tirait au passage par sa soutane le bon prêtre qui, distrait par cette plante folle, s’arrêtait vingt fois l’heure de lire ou de prier. Du printemps à l’automne, le presbytère fut tout embaumé de réséda.

Voyez ce que c’est que de nous, et combien nous sommes fragiles ! On a raison de dire qu’une inclination naturelle nous porte tous au péché. L’homme de Dieu avait su garder ses yeux ; mais il avait laissé ses narines sans défense, et voilà que le démon le tenait par le nez. Ce saint respirait maintenant l’odeur du réséda avec sensualité et concupiscence, c’est-à-dire avec ce mauvais instinct qui nous fait désirer la jouissance des biens sensibles et nous induit en toutes sortes de tentations. Il goûtait dès lors avec moins d’ardeur les odeurs du ciel et les parfums de Marie ; sa sainteté en était diminuée, et il serait peut-être tombé dans la mollesse, son âme serait devenue peu à peu