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il ressemblait tout à fait à l’enfant qui m’a envoyé un baiser. Vous voulez bien que je pense à lui aussi, Marcel ?

Dans la rue Saint-Honoré, à la hauteur du Palais-Royal, la foule devint plus épaisse. Des femmes montraient le poing aux condamnés et des cris s’élevèrent :

— À la guillotine, les scélérats !

— Vive la liberté ! répondirent les condamnés.

— Vive la liberté ! répéta Marcel.

Il sortait de cette dernière épreuve purifié de toute haine et de toute colère.

— Fanny ! s’écria-t-il, ne vois-tu rien planer sur cette immense cité dont le front est radieux et qui lavera bientôt en une heure la boue et le sang de ses pieds ? Moi, je vois la France apportant la Justice au Monde. Vive la Révolution !

Ils touchaient au terme de leur voyage. La charrette déboucha sur la place que le soleil couchant inondait d’une poussière d’or. Marcel se jeta entre Fanny et ce qu’il venait de voir. Il venait de voir sur une haute charpente deux poteaux dressés vers le ciel et réunis à leur faîte par quelque chose qu’un reflet du soleil changeait en flamme. Une dernière secousse de la charrette, qui s’arrêtait, poussa contre ses lèvres le front de Fanny. Il le baisa pour la première fois, et ses yeux se fermèrent.

Quand il les rouvrit, la blanche victime montait dans la lumière à la mort. Alors il s’élança sur l’échafaud qu’elle avait sanctifié.


Anatole France.
FIN.