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souper, le porte-clefs les aborda sans rien dire et remit à chacun un papier. Il portait l’en-tête imprimé du tribunal et contenait leur acte d’accusation. Lardillon s’était fait une joie de servir deux amans ; il avait eu la délicatesse de les impliquer dans le même complot et de leur reprocher les mêmes crimes.

Pendant qu’ils lisaient, le porte-clefs tenait son bonnet à la main. Cet homme était Parisien et habitué, comme tous les Parisiens, à se découvrir devant les morts.

Comme Marcel et Fanny devaient comparaître le lendemain devant le tribunal, les prisonniers leur offrirent le souper des adieux. Marcel fut placé entre Fanny et Cécile. Le jeune poète chanta des vers qu’il avait composés pour eux et que le musicien allemand accompagna sur la viole d’amour. Tant que dura le repas, Mme Rochemore s’étudia à attirer sur elle les regards que Marcel tournait vers Fanny.

Elle lui dit à l’oreille :

— Vous méritez qu’on vous adore. Mais Fanny ne sait point aimer.

Après le souper on laissa aux deux amis la cour de l’acacia. Assise au pied de l’arbre, sur le banc de gazon, Fanny dit à Marcel, agenouillé devant elle.

— Marcel, l’ombre même d’un mensonge me fait horreur. Écoutez-moi. Je suis contente de mourir avec vous. Je vous aime mieux que personne au monde. Mais je n’eus jamais d’amour pour personne, et je n’en ai pas pour vous. Oh ! malgré le vent de l’océan qui souffle dans les feuilles, s’il n’y allait que du salut de mon âme, Marcel, je vous jure que je me donnerais à vous au prix de ma félicité