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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 16 MARS 1884

LES AUTELS DE LA PEUR


X.

26 FLORÉAL AN II.


Lardillon tint parole. Le soir même Marcel fut conduit à la Bourbe. Comme un des gardiens venait d’être nommé guichetier, des rubans et des bouquets étaient suspendus, pour le fêter, aux barreaux du guichet, et Marcel passa sous des fleurs. En entrant dans le préau il vit Fanny en robe rose, une rose dans les cheveux. Elle lui tendit la main et il couvrit de baisers cette belle main qui le tirait doucement vers la mort.

— Malheureux ! lui-dit Fanny. Je craignais de vous voir, et pourtant je vous attendais. C’est moi qui vous tue !…

— À quoi bon vivre, Fanny ? et qu’ai-je à faire dans un monde où vous ne serez plus ?

— Marcel, si vous m’aimez, il fallait vivre pour mon fils.

Ils parlèrent longtemps à voix basse. Ce qu’ils dirent ne peut se répéter ; c’était des paroles simples, comme en disent les gens heureux. Ils voyaient les prisonniers glisser autour d’eux comme des Ombres. Un peu avant l’heure du