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Il déjeuna de bon appétit. Puis il se leva, regarda dans une glace si sa toilette était en ordre et s’il avait le teint bon, et s’en alla d’un pas léger, par delà le fleuve jusqu’à la maison basse qui fait le coin des rues de Seine et Mazarine. C’est là que logeait le citoyen Lardillon, substitut de l’accusateur public au tribunal révolutionnaire, homme serviable, que Marcel avait connu capucin à Angers et retrouvé sans-culotte à Paris.

Il sonna. Après quelques minutes de silence une figure parut à travers un judas grillé et le citoyen Lardillon, s’étant assuré prudemment de la mine et du nom du visiteur, ouvrit enfin la porte du logis. Il avait la face pleine, le teint fleuri, l’œil brillant, la bouche humide et l’oreille rouge. Son apparence était d’un homme jovial, mais craintif. Il conduisit Marcel dans la première pièce de son appartement. Une petite table ronde, de deux couverts, y était servie. On y voyait un poulet, un pâté, un jambon, une terrine de foie gras et des viandes froides couvertes de gelée. À terre, six bouteilles rafraîchissaient dans un sceau. Un ananas, des fromages et des confitures couvraient la tablette de la cheminée. Des flacons de liqueurs étaient posés sur un énorme bureau encombré de dossiers.

Par la porte entr’ouverte de la chambre voisine, on apercevait un grand lit défait.

— Citoyen Lardillon, dit Marcel, je viens te demander un service.

— Citoyen Germain, je suis prêt à te le rendre s’il n’en coûte rien à la sûreté de la république.