Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ils se regardaient quelque temps sans rien dire comme des gens qui ne savent point de mots pour exprimer leurs sentimens. Puis Florentin vida d’un coup son verre de vin, se leva gauchement et sortit. Rose avait l’air désolé en le regardant partir. Elle resta longtemps occupée à compter les carreaux de son fichu, puis elle sortit sans regarder personne.

Marcel la suivit et l’appela doucement dans la rue.

— Mademoiselle Rose, je voudrais vous parler de quelque chose qui vous intéresse.

— Monsieur, vous perdez vos paroles. Je suis une honnête fille et plus rien ne m’intéresse au monde.

— Pas même Florentin ?

À ce nom elle s’arrêta. Marcel poursuivit.

— Vous aimez Florentin, écoutez-moi, Rose : vous pouvez, si vous voulez, devenir dès demain assez riche et bien plus riche qu’il ne faut pour épouser Florentin. Pour cela vous n’aurez rien à faire de mal ; vous aurez seulement à faire une bonne action. Rose, il y a dans la prison une dame que j’aime comme vous aimez Florentin. Promettez-moi de m’aider à la délivrer et je vous dirai son nom. Elle est bonne, elle est riche : sauvez-la et votre fortune est faite.

Ils s’étaient tous deux retirés au bord d’une allée. La jeune fille ne répondait rien et semblait incertaine. Marcel la supplia ; il lui prit les mains, qu’il sentit trembler. Mais Rose se dégagea tout à coup et courut d’un bon au guichet de la Bourbe qui se referma sur elle.