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est troublée, quand pour ces femmes la vie et la mort sont également légères ?

Elle pleura toute la nuit sur son grabat. Mais, dès l’aube, elle retrouva la paix intérieure. Un calme céleste descendit sur son beau visage.

Les prisonniers qui venaient dans l’après-midi se mêler aux femmes furent frappés de cette angélique sérénité. Fanny les tranquillisait et les consolait. Aussi, son idée héroïque et sentimentale des choses humaines et divines convenait-elle parfaitement aux esprits de ces prisonniers philosophes qui, sous la menace d’une mort prochaine, cherchaient l’Espérance, sans songer un instant, jeunes ou vieux, royalistes ou républicains, à ressaisir la foi de leur enfance. Car à cette fin de siècle la religion catholique n’existait plus pour l’élite des Français.

Dès le lendemain de sa venue, Fanny rendit à ses compagnons des services dont ils étaient justement reconnaissans : elle raccommodait leur linge et leurs hardes. Par là elle s’acquit la reconnaissance d’un vieux conseiller au parlement de Toulouse qu’elle aimait pour sa simplicité. Il prouvait sans cesse qu’on l’avait injustement accusé. Quand on lui remit son acte d’accusation :

— Je ne voudrais pas être à la place de mes juges, dit-il ; car je les embarrasserai terriblement.

Il récitait une douzaine de textes de droit romain pour prouver son innocence, et il ajoutait :

— Je vous demande ce qu’ils répondront à celà ?

Il embrassa Fanny et s’en alla tranquille, ne pouvant, vieux juge, douter de la justice.