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homme s’envole en papillons noirs dans la cheminée. Elle ouvre un autre paquet et relit des pages admirables de sagesse et de bonté, où respire l’amour de la patrie et des hommes. La main qui les écrivit est maintenant dévorée par la chaux dans le cimetière des suppliciés. Au souvenir de Jean Duvernay, une rougeur tragique anime les joues de Fanny. Avant d’anéantir ces feuilles, elle les pose, en tremblant, sur la tablette de la cheminée.

Ce sont les lettres de Marcel Germain qu’elle a prises ensuite. Elle est lente à les relire et s’y plaît : l’âme dans laquelle elle a mis son souffle la charme maintenant et l’étonne. Elle joint ces lettres à celles de Jean Duvernay pour que la flamme les consume ensemble. Mais elle brûle d’abord des lettres de femmes et d’indifférens, des billets de Mme de Beauharnais, des lettres folles de Mme de Rochemore, des invitations à dîner et au bal, des lettres de baptême et d’enterrement. Pendant plus de deux heures, elle nourrit la flamme claire du foyer. Déjà une lueur blême traverse les rideaux ; c’est le matin. Les servantes ont commencé leur travail ; Fanny veut hâter le sien. N’a-t-elle pas entendu des voix ? Non, le calme est profond autour d’elle… Le calme est profond, mais c’est que la neige étouffe le son des pas. Car on vient, on est là. Des coups ébranlent sa porte…

Elle sent, elle sait qui vient. Cacher les lettres, fermer le secrétaire, elle n’en a pas le temps. Tout ce qu’elle peut faire, elle le fait : elle prend les papiers à brassée et les jette sous le canapé dont la housse traîne à terre. Quelques-uns débordent sur le tapis ; elle les repousse du pied, saisit un livre et se jette dans un fauteuil. Le président du district entre suivi de trente piques. Ce n’est plus Colin, destitué pour cause de modérantisme,