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porter en secret ; une lettre lamentable, écrite sur un lambeau de papier d’une plume brisée.

« Adieu Fanny. Je suis las de me cacher et de me taire ; c’est assez d’amertume et de honte. Je veux cracher mon mépris à la face des bourreaux. Mille desseins confus s’agitent dans ma tête. Oh ! si je pouvais me jeter dans les rangs des défenseurs de la patrie, qui font reculer Wurmser et Brunswick ! Mais je suis proscrit et je n’ai que la liberté de ma mort. Dois-je m’armer du poignard d’Harmodius et de Charlotte ? Dois-je comme Condorcet, tromper mes assassins et leur épargner un crime ? Je ne puis, hélas ! vous revoir avant de mourir, Fanny. On me recherche ; vous même êtes suspecte depuis que vous avez osé défendre Jean Duvernay. En vous allant voir, je craindrais de vous perdre, Fanny, mon âme, ma vie, ma force, mon génie, Fanny, adieu pour la dernière fois.

 » Marcel »

Les yeux qui lisent cette page sont beaux et doux comme un ciel pur. Mais vont-ils s’embellir encore du sombre éclat des orages et s’emplir d’éclairs ? Non, ils ne verseront pas de larme qui les trouble : ces pleurs qui glissent au bord de leurs paupières sont trop limpides : ce sont des pleurs de pitié.

Accoudée, Fanny regarde tour à tour la flamme qui brille dans l’âtre et la lettre de son ami. Mais elle ne veut pas la brûler encore. Elle la pose sur la tablette du secrétaire, puis, ouvrant les tiroirs du meuble, elle en tire des papiers de toute sorte ; feuilles dont la tranche est dorée, parchemins timbrés de fleurs de lis, petits cahiers reliés en maroquins, paquets de lettres. Tout le passé déjà lointain de cette jeune femme est dans ces petites archives.