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en bouche, jusqu’à ce que la sottise et la haine eussent achevé de les façonner dans la perfection. C’est ainsi qu’on raconta, dans la cour, que l’infâme Duvernay feignait de préparer des médicamens aux pauvres, et leur donnait, en réalité, du poison.

Quand on apprit qu’un témoin, une femme déposait en sa faveur, un souffle terrible de fureur s’éleva : « C’est sa complice, qu’on la guillotine avec lui ! » À ce sujet, d’interminables disputes, nourries d’ignorance et de cruauté, grosses de bêtise, s’allongeaient, grossissaient d’heure en heure. Peu à peu on s’impatienta : la condamnation se faisait attendre. Erreur ou mensonge, des bruits d’acquittement commençaient à courir et soulevaient une immense rumeur. Les cris redoublèrent : « Mort aux faux témoins ! » Les septembriseurs se pressèrent sur les marches et voulurent forcer la porte…

Elle s’ouvrit ; Fanny parut. Elle resta, droite et blanche, sur le plus haut degré. Un cercle de bras nus, de poings fermés, de sabres, l’enveloppait. Marcel était dans le cercle ; il fit un mouvement pour se jeter entre elle et la foule. Elle l’arrêta d’un imperceptible signe. Cependant, les cris de mort redoublaient ; les femelles couvraient de leur glapissemens aigus les grognemens rauques des mâles avinés. La plus hideuse de toutes les créatures, celle qui depuis plusieurs heures animait la foule et tenait un enfant des ses bras, fit un pas en avant, montra du doigt une des marches de l’escalier et cria à la victime :

— Regarde la place où la Lamballe a