Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par les fatigues d’une année de misère, de douleurs et de rage.

— Je vous ai demandé de vous trouver ici, Marcel, pour me conduire au tribunal révolutionnaire.

— Moi, Fanny, vous conduire aux bourreaux !

— Vous savez bien que c’est aujourd’hui qu’ils jugent mon vieil ami Duvernay, accusé de fédéralisme.

— Je le sais, Fanny, et je sais qu’il ne vivra plus demain.

— Et moi, Marcel, je sais seulement que je lui dois mon témoignage. Je l’ai entendu dès le 12 juillet 91 se prononcer pour la république ; je puis prouver qu’à cette époque on lui a offert la place de gouverneur du dauphin et qu’il l’a refusée. J’ai mille preuves de son patriotisme. Je les apporte à ses juges.

— Ils ne vous écouteront pas. Écrivez, faites parler ; mais n’allez pas là.

Elle le regarda d’un air suppliant.

— Marcel, ne me faites pas peur ; si vous saviez comme les foules m’effrayent et quelle peine j’ai à faire mon devoir… J’y vais en tremblant et parce qu’il le faut.

— Fanny, dit Marcel en rougissant, pardonnez-moi. Je vous donnais des conseils qui n’étaient pas pour vous. Allons !

Elle lui prit le bras et ils suivirent le quai en parlant à voix basse de l’homme de bien que son courage avait conduit au sanglant tribunal.

— Notre ami, dit Mme d’Avenay, s’était caché rue du Mail, chez une excellente femme, Mme Aubry. La retraite était sûre, mais Duvernay la quitta pour ne pas