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Priez-les seulement d’entrer tout doucement dans la chambre bleue pour ne pas effrayer mon petit enfant qui dort avec Nanon.

En entendant ces paroles, le pauvre Franchot s’était évanoui derrière son paravent, où Marcel l’alla ranimer un peu en lui jetant de l’eau sur les tempes.

— Mon ami, dit tout bas la jeune femme au vieillard, ayez confiance en moi ; je suis rusée.

Alors, avec sa tranquillité ordinaire, comme s’il s’agissait de quelque arrangement domestique et quotidien, elle tira le lit un peu en avant de l’alcôve, défit la couverture et arrangea les trois matelas, avec l’aide de Marcel, de manière à ménager du côté de la ruelle un espace entre le plus bas et le plus élevé. Comme elle prenait ces dispositions ; un grand bruit de souliers, de sabots, de crosses et de voix rauques éclata dans l’escalier. Ce fut pour tous trois une minute terrible ; mais le bruit monta peu à peu au-dessus de leurs têtes. Ils comprirent que la garde, conduite par la cuisinière jacobine, fouillait d’abord les greniers. Le plafond craquait ; on entendait des menaces, des gros rires, des coups de pied et coups de baïonnette dans les cloisons.

Cependant, Marcel saisit le vieillard et le coula dans l’espace ménagé entre les matelas. Fanny fronça le sourcil : le lit, ainsi bouleversé, avait un air suspect.

— Il faut que je m’y mette, dit-elle.

Elle regarda à la pendule. Il était sept heure du soir. Elle songea qu’ils ne trouveraient pas naturel qu’elle fût couchée si tôt. En effet, ce n’était pas son habi-