Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’ils virent sur le palier un homme livide, défait, dont les dents claquaient, dont les genoux s’entrechoquaient. Ce spectre, qui semblait l’image à demi-effacée du vieux Franchot plutôt que Franchot lui-même, murmurait d’une voix faible comme un souffle :

— Sauvez-moi, cachez-moi !… Ils sont là… Ils ont forcé ma porte, envahi ma maison. J’ai sauté par la fenêtre dans votre jardin. Ils viennent…

— Malheureux ! dit tout bas Mme d’Avenay. Ma cuisinière vous a-t-elle vu ? Elle est jacobine.

— Personne ne m’a vu.

— Dieu soit loué, mon voisin !

Elle l’entraîna dans sa chambre à coucher où Marcel les suivit. Il fallait aviser. Il fallait trouver quelque cachette où elle pût garder Franchot plusieurs jours, plusieurs heures au moins, le temps de tromper et de lasser ceux qui le cherchaient. Puis Marcel observerait des alentours, et, sur le signal qu’il donnerait, le pauvre ami sortirait par la porte du jardin.

En attendant, il ne pouvait se tenir debout. Dans l’anéantissement de toutes ses facultés, il ne se survivait encore que par un sentiment d’épouvante et de surprise. Il ne comprenait rien en vérité à sa disgrâce. C’était un homme étonné.

Il essaya de faire entendre qu’il était recherché, lui, l’ennemi des cours et des rois, pour avoir défendu les Tuileries au 10 août. C’était une indigne calomnie. La vérité était que Colin le poursuivait de sa haine. Colin, naguère son boucher, qu’il avait voulu cent fois bâtonner pour lui apprendre à mieux peser sa viande, et qui maintenant présidait la section où il avait eu son étal, Colin !…

Anatole France.

(À suivre.)