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son cœur s’épanouir et sa pensée se détendre. C’est avec une espèce de gaieté et d’un ton léger qu’il raconta comment il avait fait imprimer clandestinement les Autels de la Peur dans une remise de la cour du Commerce, sous les fenêtres de Marat. Son journal avait été supprimé après le 10 août. Lui-même, recherché par le tribunal du 17 août, errait d’asile en asile, et trouvait, chaque nuit, un grenier pour écrire.

— J’ai sur une planche, disait-il, une chandelle de deux sous, de l’encre, du papier, une bouteille de vin de champagne et mes pistolets. Que faut-il davantage au publiciste indépendant ? Ce crapaud de Marat se plaît dans l’humidité des caves. Moi, je suis de contraire complexion. J’aime les greniers ; on y voit le ciel. Si la maison est haute, je puis, quand tout dort autour de moi, passer avec agilité, par la fenêtre à tabatière, et contempler, assis sur le plancher des chats, l’espace sombre qui me sépare de la colline où Fanny repose. Ne vous vient-il rien de mes vœux et de mes pensées, Fanny, dans votre sommeil ?

Elle répondit d’un ton tranquille :

— Marcel, Marcel, vous savez bien que je n’entends la nuit que le murmure des feuilles.

À ce moment, pour la seconde fois, des cris déchirèrent l’air paisible du soir. Ils étaient mêlés de bruits de pas et de coups de feu. Ils se rapprochaient ; on entendait : « Fermez les issues, qu’il ne s’échappe pas, le scélérat ! »

— Allons dans la salle à manger, dit Fanny, qui semblait plus calme à mesure que le danger se rapprochait. Nous pourrons voir à travers les jalousies ce qui se passe dehors.

Mais à peine avait-elle ouvert la porte