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les émigrés qui méditent un retour parricide sur la terre qui les a nourris, les législateurs qui ne savent faire que des lois obéissantes et le peuple insensé qui, le 20 juin et le 10 août, prépara l’anarchie et la dictature.

J’ai vu, Fanny, j’ai vu la réalité de votre vision ; j’ai vu s’élever jusqu’aux nuées les autels de la Peur. Les assassins et les bourreaux y montaient seuls, et la nation entière se prosternait autour pour les adorer.

Fanny l’arrêta d’un geste et lui fit signe d’écouter. Ils entendirent alors venir, à travers l’air embaumé du jardin où chantaient les oiseaux, des cris lointains de mort : « À la lanterne, l’aristocrate !… Sa tête sur une pique !… »

— Vous avez entendu ? dit Fanny, pâle, un doigt sur la bouche.

— C’est quelque malheureux qu’ils poursuivent. Ils font des visites domiciliaires et des arrestations nuit et jour dans Paris. Peut-être vont-ils entrer ici. Fanny, je dois me retirer pour ne pas vous compromettre. Bien que peu connu dans le quartier, je suis, par le temps qui court, un hôte dangereux.

— Restez, dit Fanny.

Ils prêtèrent l’oreille aux cris qu’ils entendirent s’éloigner et se perdre dans le lointain.

— Oh ! s’écria Marcel, les poings fermés, les dents serrées ; oh ! l’exécrable mois de septembre ! Des forcenés se sont rués en plein jour dans les prisons et ils ont tué des hommes dont la nation qui les gardait répondait sur son honneur ; ils ont massacré des vieillards et des femmes. Je passais hier devant l’Abbaye ; les ruisseaux y sont encore teints de sang. Et pendant ces massacres, que faisaient l’Assemblée, la Commune, la garde natio-