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de cette colline, au bord du fleuve vers lequel vous tournez en ce moment les yeux ? Vous souvient-il que, étendant tout autour de vous une main prophétique, vous m’avez fait voir par avance les autels de la Peur. Fanny, vous m’avez ce jour-là, montré d’un coup le destin et le devoir. Aujourd’hui, le destin est accompli et j’ai fait ce que je devais faire. J’ai combattu pour la justice et pour la liberté.

Il tira de sa poche un cahier de papier et le tendit à Mme d’Avenay. C’était une brochure, imprimée en têtes de clou sur du papier à chandelle, produit hâtif de quelque presse clandestine. Fanny lut sur le titre ces mots imprimés : les autels de la peur, lettre de Marcel Germain à ses concitoyens ; et, au-dessous, deux lignes écrites de la main de l’ardent publiciste : À Fanny d’Avenay, à qui je dois plus que la vie, car je lui dois les sentimens qui en font le prix.

Elle lui tendit la main.

— Fanny, s’écria le jeune homme, Fanny, depuis que votre main, que je n’ai pas assez couverte de larmes et de baisers, m’a montré la voie, je l’ai suivie hardiment. Je vous ai obéi, j’ai écrit, j’ai parlé ; j’ai défendu dans les journaux, au club, dans ma section et jusque sur les bornes des carrefours le roi et la Constitution. C’est pourquoi je suis devenu en horreur à la cour et aux patriotes. Pendant deux ans j’ai combattu sans trêve les brouillons faméliques qui sèment le trouble et la haine, les tribuns qui séduisent le peuple par les démonstrations convulsives d’un faux amour et les lâches qui sacrifient aux dominations prochaines. Dans une feuille rédigée par moi seul et répandue par milliers dans les sections, j’ai flétri