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élevez votre cœur et confessez votre foi.

— Ma foi ! s’écria Germain, en ai-je une ? Vous les avez vus, Fanny ; ils ne s’entendent point pendant qu’ils s’embrassent. À quoi se décider ? Comment choisir entre tant d’opinions ?

— Tout vaut mieux que l’indifférence ! Et d’ailleurs le choix est-il si difficile ? Attachez-vous à la justice et à la vérité. Vivez, mourez pour elles. Vous êtes instruit ; vous vous sentirez peut être quelque talent d’écrire quand vous aurez autre chose à exprimer que des plaintes égoïstes. Écrivez, parlez : la parole est l’arme de la liberté. La révolution n’est pas finie, quoi qu’en dise notre vieil ami. Jetez-vous dans la lutte. Soyez courageux : si vous l’êtes, vous aurez bien des chances de distinguer ce qu’il faut combattre et ce qu’il faut défendre. Le devoir est toujours facile à reconnaître pour des yeux que la crainte ne trouble pas. Elle montra du doigt le Champ de Mars :

— Vous voyez cet autel de la Patrie, le tertre immense que grossit d’heure en heure l’enthousiasme d’un grand peuple. Il s’écroulera, et j’entrevois un jour où sur toutes les places publiques de la France d’autres autels s’élèveront en silence : les autels de la Peur. Germain, au nom de celle que vous aimez, je vous adjure de n’y sacrifier jamais.

Marcel se dressa tout debout, lui prit la main et s’écria avec l’accent d’un enthousiasme profond :

— Fanny, je jure de rendre digne de vous l’âme que je vous ai donnée.

Anatole France.

(À suivre.)