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— La philosophie nous gouverne, leur répondait-il. Quels bienfaits la raison ne répandra-t-elle pas sur les hommes, soumis à son tout-puissant empire ? L’âge d’or imaginé par les poètes deviendra une réalité. Tous les maux disparaîtront avec le fanatisme et la tyrannie qui les ont enfantés. L’homme vertueux et éclairé jouira de toutes les félicités. Que dis-je ! Avec l’aide des physiciens et des chimistes, il saura conquérir l’immortalité sur la terre.

En l’entendant, Fanny secoua la tête.

— Si vous voulez nous priver de la mort, dit-elle, trouvez-nous donc une fontaine de Jouvence. Sans cela votre immortalité me fait peur.

Le vieux philosophe lui demanda en riant si la résurrection chrétienne la rassurait davantage.

— Pour moi, dit-il, après avoir vidé son verre, je crains bien que les anges et les saints ne se sentent portés à favoriser le chœur des vierges aux dépens de celui des douairières.

— Je ne sais, répondit la jeune femme d’une voix lente, en levant les yeux. Je ne sais de quel prix seront aux yeux des anges ces pauvres charmes formés du limon de la terre ; mais je crois que la puissance divine saura mieux réparer les outrages du temps, s’il en est besoin dans un tel séjour, que votre physique et votre chimie ne pourront y parvenir en ce monde. Vous qui êtes athée, Monsieur Franchot, et qui ne croyez pas que Dieu règne dans les cieux, vous ne pouvez rien comprendre à la révolution qui est l’avènement de Dieu sur la terre.

Elle se leva. La nuit était venue, et l’on