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Je me représente avec un frisson d’horreur cette terrible scène. Brutus assis sur la plate-forme du Vulcanal et impassible ; les rigides patriciens au-dessous de lui dans le Comitium ; plus loin, dans le marché, la multitude émue que sa dureté étonne ; au milieu du marché, ses fils attachés au poteau ; la hache du licteur qu’il regarde abattre la tête de l’un, puis la tête de l’autre ; à sa gauche, le temple de Jupiter élevé par les Tarquins sur une tête coupée ; à sa droite, le temple du dieu qui dévorait ses enfants, le temple de Saturne.

Brutus vit battre de verges et décapiter ses fils sans détourner la tête, sans changer de visage, sans montrer la moindre émotion.

Plutarque va plus loin[1], et dit que, pendant le supplice de ses fils, il ne cessa de les regarder avec colère.

Les anciens ont admiré cette insensibilité. Les Romains regardaient toute émotion tendre comme une faiblesse. L’impassibilité de Brutus leur semblait une vertu. On blâmait Cicéron des regrets passionnés qu’il donnait à sa fille, et lui-même était près de s’en accuser. Pour nous, la tendresse de Cicéron l’honore ; nous consentirions à admirer un père qui, pour obéir à son devoir, condamnerait ses fils et les regarderait mourir, à condition qu’il en souffrit beaucoup. Pour les Romains, il était beau que Brutus ne souffrît

  1. Plut., Publ., 6.