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Tarquin avait donc excité une détestation universelle quand le crime de son fils Sextus souleva toutes les âmes et arma tous les bras.

Ce n’était pas assez de la misère et de l’oppression des pauvres, de l’irritation des grands, de la haine nationale des Sabins et des Latins contre les rois étrusques ; il fallut encore la colère contre un lâche attentat, et la pitié mêlée d’admiration qu’inspirait cette femme s’immolant à la chasteté violée.

C’est un beau trait de la nature humaine que les révolutions généreuses éclatent seulement lorsque le sentiment moral est offensé par quelque grande iniquité. Le malaise les prépare, l’indignation les consomme.

L’histoire de Lucrèce, admirablement racontée par Tite Live, est connue de tout le monde ; je ne la raconterai pas après lui. Cette belle histoire est vraisemblable je ne vois rien à y changer. Je ne ferai pas comme ces savants allemands qui ont supposé que Lucrèce vraiment coupable s’était tuée pour se dérober au jugement de ses proches[1].

C’est renouveler le crime de Sextus, comme Voltaire, en souillant le nom de Jeanne d’Arc, a imité les soldats qui voulurent la déshonorer dans sa prison. La pureté de la pucelle d’Orléans, la chasteté de Lucrèce, font partie du trésor moral de l’humanité.

  1. Schwegl, R. Gesch., I, p. 805.