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frappé. Elle fait ressentir tout l’entraînement de la sympathie avec la souffrance de la pitié, mais elle instruit. Cette rage de curiosité, cette soif de science, cette âpre poursuite du vrai, cette ardente et intense contemplation intérieure qui transforme le monde en rêve et le rêve en réalité, ce partage entre la critique, la poésie, la psychologie et les sciences positives, cette passion de l’immense et du détail, ce besoin de percer les mystères, d’entrer dans les régions insondées et peut-être insondables, cette attraction pour l’inconnu, cette inclination véhémente à introduire le calcul dans la fantaisie, à mesurer l’abîme, à chiffrer l’analyse de l’infini, à rayonner en tout sens par toutes les méthodes, à supprimer graduellement toutes les limites de la pensée, et à étendre la conscience jusqu’aux limites de l’être, tout cela constitue une nature puissante, mais disproportionnée, faite pour la gloire et l’infortune, et excite une attentive mais douloureuse admiration.

LXXIV. — EUGÈNE ARAM, ROMAN DE E. L. BULWER.

Après tout, Eugène Aram est un livre singulièrement intéressant et grave. L’histoire est sombre, les caractères sont vigoureux et nombreux. Quelques nobles âmes (Madeline, Roland Lester, Ellinor), une collection d’originaux divers (le caporal moraliste Bunting, le cabaretier psalmiste Pierre Dealtry, l’hypocondriaque Courtland, le chirurgien fripon Fillgrave), puis toute une cour romantique de vicieux, de coquins et de scélérats (Housemann,