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sont pour ainsi dire des substantifs-racines ; les imitateurs ne sont que des adjectifs et des désinences. Or la renommée, comme la langue chinoise, n’inscrit guère dans son dictionnaire que des substantifs.


XXXVII. — UNE LACUNE.


La lyre du cœur doit être mal tendue chez l’homme auquel la musique ne fait rien ressentir, et, sauf le cas d’imperfection organique, il est difficile d’imaginer que sa nature, quoique brillamment dotée peut-être, ne manque pas un peu d’onction et ne souffre pas de quelque sécheresse secrète.


XXXVIII. — ANALYSE MUSICALE.


Hier au soir, entendu le Fidelio de Beethoven, avec deux des quatre ouvertures composées par le grand maître pour son unique essai dramatique. Douce et pénétrante soirée ! Il faut se sentir bon et sympathique pour comprendre cette musique profonde, où l’harmonie célèbre ses noces éternelles. La première ouverture, colossale, est trop grande pour que j’en aie pu saisir l’idée à une première audition. La seconde ouverture (dite de Lénore) m’a arraché des larmes. J’ai cru entendre chanter le chœur des sphères ; je me suis vu vermisseau noyé dans l’azur et la lumière du monde, plongé dans l’immensité divine, submergé d’adoration et d’amour. Jamais l’infini ne m’avait envahi plus complètement.