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que cette paresse n’invente et ne s’impose pour échapper à la tyrannie de ce double devoir. Ainsi l’homme se révolte contre la loi qui le fait homme ; il ne s’élève à sa propre dignité que par une sorte de contrainte. Il n’accomplit sa destinée qu’à la sueur de son visage, et n’avance qu’à reculons. Chacun de ses pas est une bataille, chaque progrès une défaite, chaque liberté qu’il conquiert une violence faite à lui-même. Pourquoi cela ? Parce que la liberté est le miracle de la vie, comme la vie est le miracle de la nature.


IV. — L’ŒIL ET LA SCIENCE.


L’œil est l’emblème de la science. Quand il s’ouvre, l’œil voit d’abord tout en lui ; le progrès de la vision consiste à reculer toujours plus l’objet, à allonger successivement jusqu’aux étoiles, jusqu’à l’infini, le rayon de la sphère embrassée. De même la science voit d’abord tout en Dieu ; son progrès est, non de sortir de Dieu, mais de reculer toujours plus la cause dernière et d’étendre la région des causes secondes. Elle augmente, pour ainsi dire, le diamètre apparent de la sphère divine.


V. — LA CHAYSALIDE.


Le ton badin, léger, railleur, même à doses tempérées et sans aller jusqu’à l’ironie, est pénible quand il dure longtemps, dangereux s’il devient habitude. Astrigent subtil, il contracte l’épiderme du cœur, empêche toute ouverture, arrête tout