Page:Amiel - Fragments d’un journal intime, t1, 1908.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140

même, des hommes et de la vie, du doute qui énerve le vouloir et qui ôte le pouvoir, qui fait oublier Dieu, qui fait négliger la prière, le devoir, du doute inquiet et corrosif qui rend l’existence impossible et ricane devant tout espoir.

17 juillet 1859. — Toujours et partout le salut est une torture, la délivrance est une mort, l’apaisement est dans l’immolation ; il faut, pour recevoir sa grâce, baiser le crucifix de fer rouge ; la vie est une série d’angoisses, un calvaire qu’on ne monte qu’en se meurtrissant les genoux. On se distrait, on se disperse, on s’abêtit pour être dispensé de l’épreuve, on détourne les yeux de la via dolorosa. Et il faut toujours y revenir. Il faut reconnaître que chacun de nous porte en soi son bourreau, son démon, son enfer, dans son péché, et que son péché c’est son idole, et que cette idole qui séduit les volontés de son cœur est sa malédiction.

Mourir au péché ! ce prodigieux mot du christianisme, demeure bien la plus haute solution théorique de la vie intérieure. C’est là seulement qu’est la paix de la conscience, et sans cette paix, il n’y a point de paix..... Je viens de lire sept chapitres de l’Évangile. Cette lecture est un calmant. Faire son devoir par amour et obéissance, faire du bien, telles