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L’ATELIER D’INGRES

gauche, comme toujours, se laissait entraîner par l’extrême gauche, et, quand un jour le massier vint annoncer officiellement que M. Ingres autorisait l’achat d’un squelette, je fus seul à représenter l’extrême droite.

Je fis un petit discours, qui fut hué naturellement, et dans lequel je disais que, ne comptant jamais faire usage du squelette, m’engageant même à ne jamais le regarder, je me refusais absolument à toute espèce de cotisation. J’ajoutai : « Comme je suis sûr que le squelette ne restera pas quinze jours à l’atelier, je vous adjure, au nom de l’économie et dans l’intérêt de votre bourse, de ne pas vous livrer à une aussi monstrueuse dépense. »

Je m’empressai de m’échapper, pour n’être pas enterré sous les boulettes de pain et autres projectiles.

La cotisation marcha son train : le squelette fut acheté, et accroché un beau matin dans un coin de l’atelier.

M. Ingres vint donner sa leçon comme à l’ordinaire. Le squelette étant placé dans la partie la plus obscure de l’atelier, il ne le vit pas tout d’abord ; mais, quand il s’approcha pour corriger un de nos camarades qui en était tout près (je suivais le maître des yeux), je vis un véritable sentiment d’effroi se peindre sur sa figure, et, au