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L’ATELIER D’INGRES.

Quel changement, grand Dieu ! Était-ce bien là le même palais, le même salon, que je revoyais ? ce salon où j’avais trouvé naguère une si brillante et si élégante société ?

Tout était sombre et morne : une lampe à chaque coin de cette immense pièce, que les tapisseries dont elle est ornée rendent encore plus obscure ; une lampe sur la table, et, près de cette table, madame Ingres tenant un tricot à la main ; M. Ingres, au milieu d’un groupe, causant avec gravité. Mais pas l’ombre d’une femme, des habits noirs seulement, rien qui pût égayer les yeux. De plus, l’attitude de ses élèves avait ce quelque chose de contraint et de gêné que nous conservions toujours devant le maître, et qu’un nouveau directeur ne pouvait manquer d’inspirer aussi aux autres jeunes gens.

C’était lugubre.

Notre entrée causa un petit moment d’agitation. Bertin fut reçu à bras ouverts par M. Ingres, qui me témoigna, à moi, un vrai plaisir de me revoir. Mais bientôt le ton cérémonieux reprit le dessus. Je faisais en vain tous mes efforts pour animer un peu tout ce monde, j’allais serrer la main de mes anciens camarades, je m’approchais de madame Ingres, je la complimentais sur son tricot ; rien n’y faisait : ils avaient tous l’air consterné.