Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la tournelle étaient réunis à l’extraordinaire. Mais, cette fois, ils avaient revêtu leurs robes noires ; et, à leur attitude triste et pensive, on pouvait pressentir qu’ils allaient remplir un ministère de rigueur. Par toute la ville on s’interrogeait, avec curiosité, sur ce qui pouvait se passer au Parlement dans le secret du conseil. L’assassinat du marchand de Lucques, l’arrestation du coupable présumé, la découverte du cadavre de la victime, le témoignage inespéré rendu à Argenteuil par un aveugle, étaient un texte inépuisable d’entretiens et de conjectures pour une foule immense, qui se pressait dans la cour et dans toutes les avenues du Palais ; et chacun se disait que le jour était venu, sans doute, où enfin toutes les indécisions allaient cesser, le jour qui devait rendre à la liberté un innocent, ou envoyer un monstre à l’échafaud.

Au Parlement, après de longs débats, on s’était décidé à entendre l’aveugle d’Argenteuil. Gervais avait paru devant les chambres assemblées. Sa déposition, naïve et circonstanciée, avait fait une impression profonde ; mais des doutes préoccupaient encore les esprits. Quelle apparence d’aller mettre la vie d’un homme à la merci des réminiscences fugitives d’un mendiant aveugle, qui n’avait qu’entendu, qui n’avait pu qu’entendre ? Était-il possible que cet homme fût assez sûr de son ouïe, de sa mémoire, pour reconnaître une