Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pendant ce récit, Laurent Bigot avait paru comme absorbé dans une rêverie profonde, qui se prolongea encore longtemps après que l’aveugle eut cessé de parler. Puis tout-à-coup, s’adressant à Gervais : « Vieillard, dit-il, je vais vous faire une question ; réfléchissez bien avant d’y répondre : cette voix qui se fit entendre à vous sur la montagne, cette voix qui vous a répondu, qui vous a menacé, votre mémoire en a-t-elle conservé un exact souvenir ? Croyez-vous que vous pourriez la reconnaître si elle se faisait encore entendre à vous ; mais la reconnaître au point de ne pas la confondre avec une autre ? » — Oui, M. l’avocat du Roi, s’écria aussitôt Gervais, comme je reconnaîtrais la voix de ma mère si elle vivait encore, la pauvre femme ! » — « Mais, reprit Bigot, y avez-vous assez pensé ? Huit ou neuf mois se sont écoulés depuis ce jour-là. » — « Il me semble qu’il y a peu d’heures, répondit Gervais ; car ma frayeur fut si grande, alors, que je crois toujours entendre, et la voix qui se plaignait, et la voix qui m’a parlé, et le tonnerre qui, ce jour-là, grondait plus fort que d’ordinaire. » Et comme Laurent Bigot allait encore exprimer un doute, l’aveugle, levant les mains vers le Ciel qu’il ne voyait pas : « Dieu est bon, dit-il, et il n’abandonne pas les aveugles ; depuis que je n’y vois plus, j’entends mieux. Mais, ne m’en croyez pas ; tenez, tous les