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en poussant un cri, lorsqu’en prêtant l’oreille à ce que lisait le bailli, il avait entendu parler d’un cadavre découvert dans les vignes. Mais, absent depuis longtemps d’Argenteuil, que pouvait-il savoir ? Aveugle, d’ailleurs, que pouvait-il avoir à dire ? Laurent Bigot regardait avec une sorte de respect cette belle et noble figure de vieillard, dont la sérénité semblait un défi au malheur. « Infortuné, lui dit-il, que pouvez-vous avoir à nous apprendre ? » Mais, remis d’un premier mouvement dont il n’avait pas été le maître, l’aveugle, maintenant paraissait embarrassé et indécis. « Ah ! Monseigneur, puis-je parler ? dit-il ; n’y a-t-il point de danger pour ma vie ? » Et il tournait de tous côtés sa tête blanchie, d’un air de défiance et d’effroi. — « Parlez, parlez en liberté, lui dit Bigot ; mais, encore une fois, que pouvez-vous savoir ? »

Alors le vieillard raconta qu’il y avait huit ou neuf mois environ, partant d’Argenteuil pour aller en pèlerinage, il était sur les hauteurs qui dominent la paroisse, lorsque, averti par les aboiements de son chien, il prêta l’oreille et s’arrêta. Une voix d’homme, mais faible, plaintive, suppliante, se faisait entendre : « Monstre ! s’écriait cette voix, ton maître ! ton bienfaiteur ! Grâce !… Faut-il mourir si loin de ma patrie, de mon frère !… » Puis avait retenti un dernier cri, affreux, déchirant, tel que celui d’un mortel