Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.
296
LES AVENTURIERS DE LA MER


« À midi, nous rencontrâmes des traces fraîches d’ours blancs se dirigeant vers une haute montagne de glace, mais personne n’était en humeur de chasser. La fatigue devenait insupportable : plusieurs hommes commençaient à jeter derrière eux tout ce qui alourdissait leur marche : caban, chemises de laine, bottes, biscuits ; il y en avait même qui se débarrassaient de leur petite pique, se figurant après chaque sacrifice qu’ils avanceraient plus aisément. Quant à moi, je marchais encore sans trop de peine ; la seule chose que je laissai en route, ce fut ma chevelure, devenue trop longue, qui gelait et m’empêchait de voir devant moi.

« Plus nous avancions, plus nous rencontrions d’espaces occupés par l’eau. Nous traversions à l’aide d’un va-et-vient ; lorsque les deux bords occupés par les glaces se trouvaient trop éloignés l’un de l’autre, nous choisissions un glaçon assez résistant pour nous porter tous et nous le mettions en mouvement, lui imprimant une impulsion d’abord, puis en ramant avec nos piques et les crosses de nos fusils, en mettant au vent nos pelisses étendues. C’est ainsi que nous traversions, — bien lentement, — puis nous reprenions notre marche en avant.

« Quand nous étions écrasés de fatigue, je donnais l’ordre d’arrêter et nous nous jetions sur la glace, exténués, incapables d’échanger une parole. »

Enfin, le 11 septembre, le lieutenant Krusenstern aperçut la terre.

« Avec quelle rapidité les hommes mirent leurs sacs sur le dos ! Quels airs triomphants ! comme ils allaient en avant, ne me donnant même pas le temps de prendre mon poste !

« — Votre Honneur, maintenant qu’on voit la côte, nous ne sommes plus fatigués !

« Mais, hélas ! au bout d’une heure nous rencontrâmes l’eau, et quand nous l’eûmes traversée, nous vîmes devant nous une grande étendue de glace brisée qui paraissait infranchissable ; toutefois, on distinguait très nettement le sable rouge des falaises de la côte. Il n’y avait pas à hésiter. Je m’élançai en avant, rompant ici, sautant là, passant de glaçon en glaçon à l’aide de ma pique ; l’équipage me suivait. Dieu eut pitié de nous. Au bout d’une heure et demie, nous atteignîmes de nouveau la glace ferme. Le baron Budberg, l’un des volontaires, fut le plus éprouvé dans cette rude étape à travers la glace et l’eau ; n’ayant pas le pied marin, il glissa plusieurs fois, et se fût noyé s’il n’eût été rattrapé par les hommes de l’équipage. Nous fîmes ce jour-là tout ce