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LES AVENTURIERS DE LA MER


« C’en était un, en effet, mais non un compatriote.

« Le pauvre petit Chinois se jeta dans les bras du capitaine Pinard, et ses premiers mots furent : All dead : Tous morts ! Qu’on juge de notre consternation ! Nous ne pouvions pas nous figurer que trois cent dix-sept hommes avaient pu devenir la proie de sauvages mal armés et malingres comme ceux que nous avions vus tout à l’heure. Les assertions du Chinois, qui se traduisaient autant par des signes que par quelques mots de mauvais anglais, ne nous laissaient cependant que peu de doute sur une aussi épouvantable catastrophe. Il parvint à nous faire comprendre qu’il restait seulement quatre de ses compagnons à terre, dont un appartenait à l’équipage du Saint-Paul et était probablement le maître charpentier.

« Suivant le Chinois, ce malheureux était gardé à vue dans les environs, garrotté, réduit au dernier degré de marasme. On lui avait passé dans la cloison du nez la tige d’os que les insulaires de Rossel et de toutes les terres environnantes considèrent comme le plus bel ornement. Sans doute le charpentier avait été adopté par quelque chef comme le petit Chinois lui-même, qui portait un collier, et des bracelets. L’un des premiers mouvements de ce pauvre garçon, quand il fut en sûreté dans notre embarcation, fut d’arracher et de jeter avec indignation ces colifichets de la vanité des sauvages. »

Les marins de l’expédition poussèrent leurs recherches jusqu’à l’embouchure de ce ruisseau où le capitaine du Saint-Paul avait établi son campement au moment du naufrage. Là un spectacle horrible s’offrit à leurs yeux. « Des monceaux de vêtements et de queues de Chinois — on sait qu’ils étaient plus de trois cents — marquaient la place où les malheureux avaient été massacrés. Un tronc d’arbre renversé avait servi de billot où l’on appuyait le cou des victimes. Les meurtriers avaient arraché la queue de chaque Chinois encore vivant, puis l’avaient égorgé à coups de lance, et enfin s’en étaient partagé les lambeaux palpitants. »

On connut exactement les détails de ces massacres suivis d’orgies de cannibales. Les Chinois, ayant épuisé toutes leurs ressources, répondirent enfin aux offres des sauvages et consentirent à s’embarquer dans leurs pirogues. Ceux-ci les emmenèrent trois par trois à l’ancien campement. « Là, une troupe nombreuse fondait sur ces malheureux exténués et les sacrifiait de la façon la plus barbare, puisqu’elle poussait la rage de la férocité et d’une sensualité horrible jusqu’à les