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LES AVENTURIERS DE LA MER


Lütke de les délivrer de leur longue captivité, ce qui leur fut accordé avec plaisir.

Un autre délaissé, plus à plaindre encore parce qu’il était seul et sans aucune ressource… Pour celui-là, être délivré, c’était échapper à la plus affreuse des morts. En mars 1826, l’amiral Gourbeyre, alors capitaine de la Moselle, passant en vue de l’île de la Trinité, sauva un marin anglais délaissé depuis vingt jours sur ces tristes rivages. Ce malheureux pensait n’avoir plus que la mort à attendre.

James Owen, c’est le nom de ce marin, embarqué sur le navire anglais le Darius, était descendu à terre avec le capitaine Bowen, et avait pénétré par son ordre dans l’intérieur de l’île à la découverte des sangliers et des chiens sauvages qu’elle renfermait ; mais il lui arriva de tomber dans un précipice, et sa chute le mit hors d’état de rejoindre le canot du bord.

Cinq jours après ce funeste accident, ayant retrouvé assez de force pour se traîner jusqu’au rivage, il n’aperçut ni embarcation ni navire ; mais il trouva là son coffre et son hamac, que le capitaine, en l’abandonnant, avait cru devoir y faire déposer, sans doute dans l’espoir qu’il n’était pas mort. Il ne sembla pas au malheureux Owen que l’on eût songé à lui laisser quelques vivres — à moins que les bêtes errantes n’eussent dévoré ce qu’on aurait mis pour lui avec ses effets. Ce fut une triste constatation. L’île est stérile, on y voit quelques rares arbustes sur le sommet des mornes ; nulle part de végétal alimentaire, seulement des animaux sauvages, des oiseaux de mer et, parmi les roches, des coquillages.

Vers le soir, et au moment de s’éloigner de l’île, le capitaine Gourbeyre découvrit un feu que les accidents de terrain lui avaient caché. Il fit tirer un coup de canon et envoya un canot ; mais la mer brisait avec une telle violence qu’on ne put approcher, et ce ne fut que le lendemain qu’il fut possible d’aborder à l’aide de grappins, de lignes et d’une bouée de sauvetage, puis avec un petit radeau. Plusieurs matelots tentèrent de traverser à la nage les brisants pour porter une ligne à terre ; trois faillirent se noyer et ne furent sauvés qu’au moment où leurs forces les abandonnaient ; un quatrième fut plus heureux ; il parvint, après de nombreux efforts, jusqu’au rivage. Un va-et-vient fut établi ; le radeau conduit au pied des rochers, et le naufragé placé sur cette frêle machine, se vit bientôt recueilli par les hommes généreux dont l’humanité et le courage méritaient un tel succès.