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LES AVENTURIERS DE LA MER


abordé à l’île de Tofoa, pour y faire provision de fruits de l’arbre à pain, dut échapper à l’hostilité manifeste des insulaires, en abandonnant John Norton, l’un des quartiers maîtres, qui ne put rejoindre assez tôt : le malheureux fut lapidé sous les yeux de ses compagnons.

Les victimes de la rébellion eurent à essuyer des mauvais temps, de la pluie ; le 7 mai, passant en vue de quelques îles rocailleuses, ils furent poursuivis par deux grandes pirogues chargées de sauvages auxquels ils se dérobèrent à grand’peine ; la ration de vivres fixée à une once de pain par jour et un verre d’eau, ne fut améliorée que par quelques légères distributions de rhum et de vin ; toutefois, ils purent prendre deux ou trois gros oiseaux de mer, et le 28 mai, ils trouvèrent quelque repos sur une île de la côte orientale de l’Australie, qui leur fournit en abondance des huîtres : on les fit cuire avec du porc salé et du pain, et chaque homme put se rassasier à son appétit.

Malgré ce réconfort, au moment où Timor allait être signalée, les compagnons de Bligh se trouvaient dans un lamentable état. « Le 10 juin au matin, lisons-nous dans la relation de l’infortuné commandant, je fus frappé du triste état de la plupart des hommes. Une peau blême et desséchée laissait saillir les os de leur visage ; leurs jambes étaient enflées et leur faiblesse si grande qu’ils pouvaient à peine se mouvoir, et restaient plongés dans une sorte de somnolence dont ils ne sortaient que pour balbutier des phrases incohérentes. Deux surtout paraissaient toucher à leur dernière heure. Je rappelai la vie chez eux en leur faisant prendre quelques cuillerées du vin qui nous restait encore, et je m’efforçai de ranimer le courage de tous en leur faisant entrevoir une arrivée prochaine à Timor. »

Le 12, on aperçut la terre, qui fut saluée par des cris de joie. Deux jours après, l’embarcation de la Bounty entrait dans la baie de Coupang. Bligh et ses compagnons d’infortune furent cordialement reçus. Les malheureux ressemblaient à des spectres ; n’ayant plus que la peau et les os, couverts d’ulcères, vêtus de haillons indescriptibles, ils inspiraient à la fois la pitié et l’effroi. Malgré tous les soins qui furent prodigués à tous, le botaniste mourut à Coupang, trois des hommes à Batavia, et un autre sur le vaisseau qui ramenait en Angleterre les marins de la Bounty demeurés fidèles. Quant au docteur, qu’on avait dû laisser à Timor à cause de l’état de sa santé, on n’entendit plus jamais parler de lui.

Nous retrouverons plus loin, — à Pitcairn, — les rebelles, devenus