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LES AVENTURIERS DE LA MER


le grand cuirassé avait une vitesse de six nœuds à l’heure, et le choc fut si peu violent qu’à peine le ressentit-on à bord, et cependant l’éperon fut presque entièrement détruit.

Depuis la collision des cuirassés allemands, d’autres collisions se sont produites encore entre navires cuirassés ; il y a eu notamment un abordage le 21 juillet 1884, dans la baie de Bantry, sur la côte d’Irlande, entre la Defence et le Valiant, pendant les évolutions de l’escadre anglaise. Il en est résulté de sérieux dommages, mais non mort d’hommes. — La liste de ces sortes d’abordages entre ces lourds navires difficiles à manœuvrer reste ouverte.

Comme on vient de le voir, les portes des cloisons étanches fermées à temps préservèrent seules le Kœnig-Wilhelm d’un sort semblable à celui du navire qu’il venait d’aborder. Dans une autre collision, celle du transatlantique allemand l’Elbe, abordé le 30 janvier 1895 par le steamer anglais le Crathie, les cloisons étanches n’ont pas empêché de sombrer le navire abordé, soit qu’elles aient été atteintes dans la collision, ou qu’elles soient restées ouvertes ; mais le Crathie a dû son salut à la résistance de sa cloison étanche de l’avant.

L’Elbe était parti de Brême avec deux cent quarante passagers, des émigrants pour la plupart, et cent soixante hommes d’équipage. Il se rendait à New-York et devait faire son escale réglementaire à Southampton. Il se trouvait, au moment de la collision, à une trentaine de milles de la côte de Hollande. Il était 6 heures du matin, la mer était grosse, avec une forte brise du nord-est ; l’obscurité était profonde. Tout à coup l’Elbe fut abordé par le plein travers avec une extrême violence, et il sombra en quelques minutes sans que les passagers et l’équipage eussent été secourus par le steamer auteur de la collision ; vingt personnes seulement, dont cinq passagers, purent trouver place dans une chaloupe, et après cinq heures de souffrances, transies de froid, elles furent recueillies par un bateau de pêche de Lowestoft (Angleterre).

Le navire abordeur s’était éloigné du lieu de la catastrophe, sans essayer d’atténuer la faute commise, sans s’efforcer de sauver quelques-uns des malheureux que la mer allait engloutir. Ce fait semble incroyable. Il provoqua une profonde émotion dans le monde maritime. La responsabilité assumée par le capitaine du Crathie serait bien grande, si son navire, très endommagé à l’avant, ne lui avait créé l’obligation de songer à la sûreté de son propre équipage.

Quoi qu’il en soit, on n’aurait probablement jamais connu le nom du