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lait pas être venu de si loin pour si peu de chose. Il prétendit qu’il serait scandaleux de s’en aller sans avoir visité le pays.

Il fallut bien en passer par là ; et ce ne furent plus, tous les jours, que promenades en voiture, à cheval ou à pied à travers la vaste région montagneuse ; ils contournaient les sommets qui s’élancent en pics, s’arrondissent en dômes, se déchirent comme les parois d’un cratère ou s’aplanissent en terrasses ; ils suivaient les lacets des pâturages escaladant des promontoires qui avancent leur tête entre deux vallées ; ils mesuraient de l’œilles pyramides neigeuses du Quaïrat, du Montarqué et de Spijoles ; ils saluaient quelque ancien castel ou une tour à signaux ; des cours d’eau, des torrents nés du dernier orage, des cascades leur barraient la route ; de ces cascades il y en avait d’imposantes comme celle du Juzet, qui tombe de quarante mètres, ou celle du lac d’Oo qui n’a pas moins de deux cent soixante-quinze mètres de hauteur : l’eau se détache du rocher en poudroyant, tantôt enveloppée d’une écharpe irisée, tantôt en pluie de perles ; ils suivaient des sentiers en zigzags au pied d’escarpements boisés, où çà et là des sapins ébranchés par des tourmentes montraient leurs têtes mutilées ; ils cherchaient leur route à travers les hauts vallons, avec l’étonnement continu de voir les gorges se resserrer et se fermer brusquement devant eux, comme si elles aboutissaient à une pente raide, à une muraille, puis l’instant d’après la gorge s’élargissait, le vallon s’agrandissait démesurément, et les sommets que l’on semblait près d’atteindre reculaient tout à coup comme par un jeu cruel.

On grimpait, et on découvrait soudain un lac profond entouré de roches escarpées ; on montait encore, on franchissait les cols — les ports — brèches aux murailles nues, aux âpres parois au-dessus desquelles planent les aigles qui descendent en tournoyant pour s’abattre sur le cadavre de quelque mouton que l’avalanche a précipité ; on laissait loin derrière soi les granges, la maison du laboureur juchée comme un ermitage, les maigres plantations de défrichement ; on dépassait les pelouses, les bois, les antres sauvages, au fond desquels tombe un ruisseau, ou qui sont fermés en guise de rideau par une nappe d’eau cristalline, qui fuit comme l’éclair, sans flot et sans écume, dans un tortueux labyrinthe de rochers.

Et l’on montait toujours. En avant ! en avant ! Et l’on arrivait aux crêtes où bondit l’isard à travers les abîmes pour fuir le chasseur, et l’on arrivait à des grands pans de montagnes sombres et boisés de chênes, de hêtres et de pins d’où s’échappaient des odeurs résineuses, à des côtes plus hautes où les