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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Son visage tout entier devenait vert comme une queue d’oignon. Le voisin d’en face, si placide, finit par s’alarmer pour son propre compte, et offrit sa place, que le patient accepta — sans opposition de la part de son jeune compagnon de voyage.

— Nous allons arriver à Vierzon, dit le voisin obligeant. Il y a un buffet ; vous prendrez quelque chose. Connaissez-vous Vierzon, mon vieux ? Il y a la grande fabrique de porcelaine et de faïence de Bel-Air…

— Vierzon !… Vierzon !… Les voyageurs pour Orléans changent de voiture !

— Tarteiffle ! Maintetarteiffle ! répondit l’Allemand.

— Allez donc prendre quelque chose, vieux !

Hans Meister changea de voiture, mais il ne prit rien, — au contraire.

Le voisin obligeant suivit l’Allemand et Jean. C’était un gros bourgeois, très réjoui.

L’Allemand ne lui sut aucun gré de ses prévenances. Il se mit dans un coin — Jean en face de lui — et, tirant de son sac de toile le fameux mouchoir rouge, il s’en enveloppa la tête, les oreilles surtout, et s’isola du reste de la chrétienté, trouvant promptement un sommeil réparateur — et bruyant.

Affublé de la sorte, avec son long nez tombant sur sa bouche fatiguée par un rictus ironique habituel, ses yeux à demi fermés et qui louchaient encore, son visage demeuré livide, on aurait dit Polichinelle assommé.

Aux stations, les gens qui ouvraient la portière, reculaient épouvanlés. D’ailleurs les grandes jambes du personnage interceptaient absolument le passage.

C’est ainsi qu’on arriva à Orléans, — assez tard pour que Jean ne vit rien de l’aspect extérieur de la ville. Il était plus de neuf heures, — bonne heure pour dormir : Jean secoua sans pitié sa victime et la réveilla.