Page:Amélie Gex - Poésies - 1879.pdf/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96

On dirait, se drapant chacun dans leur suaire,
Des cadavres sortis de leur morne ossuaire…
Et l’été, quand le bruit s’éteint dans les vallons
Gravissant des glaciers les rudes échelons,
Il semble qu’on entend sous ces rameaux mobiles
Les chansons des hameaux et les plaintes des villes…
Là se perdent les voix de l’effrayant concert :
Chants, larmes, cris, sanglots, vent qui vient du désert,
Brise qui sur nos lacs fait avancer la barque,
Source où vient s’abreuver quelque nouveau Pétrarque,
Beuglement des troupeaux au pacage attardés,
Bruits grondeurs des torrents de leurs lits débordés,
Le pas lourd des grands bœufs cheminant sur la route,
Le bélement plaintif de la chèvre qui broute,
Tout s’arrête et tout meurt sous ces arceaux mourants,
Seuil que ne franchit pas le regard des vivants !…

Que dites-vous le soir, en rapprochant vos têtes,
Vieillards ?… Racontez-vous les vents et les tempêtes
            De vos premiers printemps ?
Alors qu’en vos bourgeons coule ardente la séve,
Remontez-vous encor, comme on fait en un rêve,
            À l’aurore des temps ?

Pour parler entre vous des secrets d’un autre âge,
Tantôt vous empruntez l’âpre voix de l’orage
            Et ses rudes accords ;
Tantot, comme un soupir de bouches inconnues,
Passent, en se perdant dans les replis des nues,
            Les chants de nos vieux morts…