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Ce n’est point la richesse, orgueilleuse en son faste ;
Le pouvoir entouré du prestige mondain ;
L’idolâtre clameur d’un peuple enthousiaste,
Ce triomphe d’un jour, souvent sans lendemain…

Non, ta lèvre n’est point la lèvre qui s’abreuve
À ce fleuve bourbeux qu’on nomme le plaisir…
Dieu garde pour ta soif tout le fiel de l’épreuve,
La souffrance est la part qu’il voulut te choisir.

Ton front n’est point de ceux que la joie illumine :
« Souffrir étant ton lot », pleurer est ton destin !
Jour par jour, le malheur en ta maison butine
Quelque fleur, souvenir de ton jeune matin.

Si, courbé par le sort, quelquefois tu demandes
Le pourquoi des sanglots qui soulèvent ton sein,
Pourquoi sur cette croix Dieu veut que tu t’étendes,
Pourquoi l’amer calice est toujours, toujours plein !…

Dans la nuit qui se fait au dedans de ton âme,
Maître, n’entends-tu pas la voix de Jéhova
Te crier : — Ô lutteur, l’avenir te réclame,
Marche, car sur tes pas tout un peuple s’en va !

Marche, malgré l’affront, l’injure et la huée !
Poète, devant toi mes Cieux restent ouverts !
Marche, car tu verras l’éclatante nuée
Qu’Israël entrevit dans les sombres déserts !…