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AMÉLIE

pour me faire oublier Victoire et sa perfidie. Je promis de n’y plus penser, et je m’abandonnai entièrement au nouveau sentiment qu’on venait de m’inspirer. L’amitié, ce besoin du cœur, qu’on éprouve rarement entre femmes qui sont exposées aux préférences des hommes, et d’où naissent ces rivalités, source de mille désagréments, ne tarda pas à nous unir toutes les trois, et nous donna assez de philosophie pour nous rendre insensibles à ce qu’on appelle ailleurs des mortifications, et que là, nous eûmes le bon esprit de trouver naturelles, persuadées que c’est plus souvent le caprice que le bon goût, qui détermine dans ces circonstances.

Cependant, pour adoucir, autant qu’il était possible, l’espèce d’humiliation que doivent ressentir des femmes qui n’ont pas totalement rompu avec les principes, lorsqu’il faut qu’elles passent en revue devant un homme, que le désir de jouir amène dans ces sortes de maisons, la Dupré nous avait fait peindre toutes les trois : nos portraits, parfaitement ressemblants, et point du tout flattés, étaient suspendus dans le salon, où l’amateur introduit pour faire son choix, désignait à la maman celle qui lui plaisait le plus : on la faisait avertir ; elle paraissait seule, et par ce moyen notre amour-propre ne se trouvait jamais compromis. Ce sont là de ces idées heureuses, dont on doit savoir gré aux personnes qui les conçoivent, puisqu’elles ser-